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The Square, welcome to the jungle !


Terry Notari

Sortir de sa première expo d’art contemporain, c’est comme quand votre dentiste vous explique qu’il est préférable de vous arracher vos quatre dents de sagesse le même jour – on ne sait pas trop quoi en penser. Dans l’attente d’une révélation, on règle son pas sur celui des belles personnes à « l’œil éduqué ». Et l’on regarde, circonspect, la bonne société se pâmer d’admiration devant les performances de Joseph Beuys. Un artiste montrant des œuvres d’art à un lapin mort doit forcément avoir un message existentiel à délivrer au monde. Tout comme Paul Mc Carthy qui, près de cinquante ans plus tard, érigea sur la Place Vendôme un gigantesque plug anal.

L’art contemporain, c’est bien. Parce qu’on peut applaudir mais surtout en rire.

En remettant la 70ème Palme d’or au réalisateur suédois Ruben Östlund pour son film The Square, la Croisette a prouvé qu’elle aussi avait de l’humour. Cette œuvre brillante dézingue sans vergogne notre époque « post-moderne » dans laquelle la question humanitaire cède souvent la place à la mercantilisation du savoir et de la culture.

Christian (interprété par l’excellent Claes Bang) est un conservateur de musée d’art contemporain aussi pleutre que séduisant. L’homme possède un appartement de standing à Stockholm et roule en Tesla. Il soulage parfois sa conscience en achetant à une mendiante un sandwich au poulet ou en secourant une demoiselle en détresse. L’homme est satisfait de lui-même, se prête volontiers à la comédie (in)humaine qu'instruit sa classe sociale.

Claes Bang

The Square est le titre de la prochaine exposition sur laquelle lui et son équipe travaillent – un carré symbolisant "un sanctuaire de confiance et de bienveillance à l’intérieur duquel nous avons tous les mêmes droits et les mêmes devoirs."

Pour la promotion de l’événement, le musée fait appel à la nouvelle génération de communicants, deux jeunes adeptes du marketing choc et du buzz médiatique. Tout est sous contrôle jusqu’au jour où Christian se fait voler son portefeuille. Nul besoin de gratter beaucoup pour découvrir sous le vernis de l'hypocrite bourgeoisie, la veulerie absolue. "Le carré de bienveillance" en prend un coup … et l’homme de culture s’enlise.

À l’instar de Snow Therapy (prix du jury au Festival de Cannes en 2014 dans la catégorie Un certain regard), Ruben Östlund met à nouveau la confiance perdue des sociétés nordiques au centre du récit. Le jeu du champ / hors champ est d’une redoutable efficacité pour exposer les rapports entre dominants et dominés. Mise en scène virtuose, acteurs au sommet, dialogues truculents, le tout sur fond de musique extatique (le morceau Genesis de Justice est une bombe). The Square regorge de longs plans-séquences étirant l’absurde jusqu’à l’extrême. (2h20 tout de même !)

Le malaise est probant dès la scène d’ouverture où une journaliste (l’irrésistible Elisabeth Moss) interroge Christian sur la profondeur supposée de l’art contemporain. Le conservateur patauge ; finit par avouer qu’il suffit aujourd’hui de déposer un vulgaire objet dans un musée pour en faire une œuvre d’art. Et la journaliste écervelée de répondre « ok ».

Elisabeth Moss

Pendant ce temps-là dans les rues de Stockholm, la misère prolifère. Quand quelqu’un crie « à l’aide ! » les bonnes gens ont du mal à lever le nez de leurs portables.

Une scène ubuesque illustre à elle seule le génie caustique du réalisateur et provoque dans la salle l’hilarité générale. Après un rapport sexuel minable dans un appartement occupé par Anne la journaliste et un chimpanzé (!?) Christian est sommé de remettre à sa partenaire complètement barrée, le préservatif qu’il vient d’utiliser.

Le happening d’Oleg (l’époustouflant Terry Notari), est quant à lui déjà culte tant il est gênant à regarder. On y voit un homme au comportement simiesque harceler des invités endimanchés lors d’un dîner de gala donné en l’honneur des donateurs du musée. Avec son torse nu et ses cris de singe, le performer fait d’abord sourire. Les minutes passent et la peur s’installe chez les privilégiés qui se sentent réellement menacés par "l'animal".

Terry Notari

The Square raille puissamment nos sociétés dites humanistes et confortables dont la candeur apparente cache une culpabilité patente. Bien qu’un peu longuette, cette Palme d’or est largement méritée. La caricature grinçante de l’art contemporain épouse parfaitement la satire du monde occidental. Par ce "square", ce carré altruiste (allégorie de la social-démocratie idéale), le réalisateur suédois souffle le chaud et le froid avec la plus grande maestria. Nous interroge sur notre lâcheté et la complexité de nos rapports entre nature et culture.

À celles et ceux qui veulent comprendre ce qu'est l'art contemporain, je réponds comme Ruben Östlund, qu’il est la chambre d’écho de notre époque – une jungle entremêlée d’excès, de fantasmes inavoués et de rêves désenchantés.

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