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Mother ! la bombe à fragmentation


Si j’aime aller au cinéma et trouve en moi les ressources nécessaires pour supporter les machouilleurs de pop-corn professionnels, c’est pour voir des créations comme celle-là. Quand vous prenez une claque de ce genre, soit vous quittez votre siège le poing levé, demandez à être dédommagé pour le supplice enduré ; soit vous faites une petite prière dans le noir pour remercier le septième art d’exister, savourez jusqu’au dernier plan l’audace artistique s’offrant à vous pour la modique somme de 19.60 CHF.

Mother ! a essuyé un déluge de sifflets lors de sa projection de presse à la dernière Mostra de Venise. Son réalisateur Darren Aronovsky est depuis raillé, insulté tous azimuts. Le créateur du stroboscopique Requiem for a dream et du (trop ?) commercial Black Swan s’en amuse, se place au-dessus de la mêlée des pisse-copies, assume de A à Z son œuvre psychotique.

Une maison – perdue dans un ailleurs champêtre. Un espace organique abritant l’amour d’un couple éminemment érotique. Lui est écrivain (Javier Bardem) Elle est amoureuse (Jennifer Lawrence). Ce que veut la fille, c’est être aimée de Lui et « faire de leur maison un paradis ».

Elle se donne corps et âme pour que tout soit parfait. Fait la cuisine, le ménage, un bébé. S’occupe de la décoration dans les moindres détails. Pendant que ses mains virginales fabriquent le cocon familial, Lui est en panne d’inspiration. Attend le surgissement – la grâce de la Création.

Un inconnu débarque pendant la nuit. « Il n’a nulle part où aller ». L’Homme l’invite à rester. Elle panique. Se demande pourquoi le Créateur tolère l'intrusion.

"J'étouffe ici. Je veux faire entrer la vie dans cette maison."

Le Créateur se remet à créer. Se prend d’affection pour l’intrus (Ed Harris), lequel s’avère être un fan de son travail. Elle est sidérée quand l’Homme décide d’héberger ensuite sa femme (Michelle Pfeiffer), une créature cynique, indécente, qui méprise la fille et brise le cœur en cristal du Créateur.

Elle feint d’encaisser mais ses angoisses la consument de l’intérieur. Elle absorbe une étrange substance pour supporter l'affront qui lui est fait. D’autres personnes pénètrent dans son foyer, envahissent son espace de bruits et d'odeurs indésirables. D’autres arrivent encore, se battent et commettent l'irréparable : le crime originel.

Commence alors une métaphore tentaculaire. Un mélange de terreur sensorielle et d’hallucinations grotesques. Les maux du monde se déploient dans la maison comme une peste noire. Les peaux se blessent, les objets se cassent, les murs et les tapis transpirent – souillés par le sang des morts.

- Pourquoi vous détruisez ma maison ?

- Pour prouver qu’on était là.

Le film utilise d’abord les ressorts du thriller psychologique pour construire sa base narrative, une allégorie parfaite de la célèbre phrase de Sartre :

« l’enfer, c’est les autres. »

Effets visuels et sonores assourdissants accompagnent la jolie demoiselle en détresse, qui voit son paradis dévoré (au sens propre comme au figuré) par la violence des Hommes.

Le baroque installe autour de la madone-martyre une superposition de couches symboliques – jusqu’à l’asphyxie. On assiste, depuis la moitié jusqu’à la fin du film, à une hallucination labyrinthique, un délire mystico-apocalyptique complètement barré.

Mother ! ne suit aucune règle, et c’est heureux. Il révèle Jennifer Lawrence ; définitivement libérée de la franchise Hunger games. Javier Bardem, (pas très à l’aise dans son habit d’icône mégalo) est nettement moins convaincant. Michelle Pfeiffer excelle, en revanche, dans son rôle de plante vénéneuse.

Mother ! parle de dévoration. La peur d’être exposé, mangé par le monde (de la célébrité). La peur de l’abandon, aussi, du sacrifice sur l’autel de la Création. Mother ! parle d’outrance faites aux femmes. Du besoin insatiable de reconnaissance de l’Homme, égotique et unilatéral, au détriment de l’amour simple, en partage.

« Tu ne veux pas de moi dans cette maison. Tu ne m’aimes pas. Ce que tu aimes c’est que je t’aime, toi. »

Critique parabolique de la religion, de la folie meurtrière, de l’Homme qui se prend pour Dieu. Mother ! est un requiem délirant dont le trop plein cauchemardesque peut laisser hermétique. C’est une œuvre-hurlante sans concession. Un film dérangeant qui cogne. Se veut aussi brutal que le calvaire christique enduré par la jeune femme – la mère ! d’où le point d’exclamation, frappant le cœur du spectateur dès les premières minutes, et qui semble vouloir dire :

« Homme, regarde ce que tu fais de notre bonheur ! »

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